MILLE VIES SAUVAGES
NOUVELLES
DE NICOLAS EUDINE
Des histoires courtes, qui se font écho. De par leurs thèmes (l'aliénation au travail et dans cette société - la recherche de sens et la découverte de l'absurde - l'envie pressante de s'exiler pour remplir un vide - le besoin de se rencontrer et les loupés qui s'en suivent...) également, de par certains personnages, se croisant et se recroisant au cours de ces petites histoires.
En même temps, ces histoires alternent des formes et des styles d'écritures différents. Ils sont des cadres d'expérimentation importants dans mon activité d'écriture.
J’ai pensé ce premier recueil comme la première partie d’un travail achevé dans un deuxième recueil, nommé ‘’ La Rive ‘’, et respectant lui aussi ces deux principes.
Extrait :
- Monsieur Kein ? dit la blonde. Je suis heureuse que vous ayez pu vous libérer à l’improviste. Monsieur Charles et moi-même, bien sûr, et ne parlons pas de nos hôtes... Nous n’attendions que vous. ‘’
Qu’est-ce que cela voulait dire ? Je n’y comprenais rien. Un carrosse, avec chauffeur, m’enlevait chez moi. Il me ramenait dans une propriété luxueuse. Là, une blonde torride affirmait, en chaloupant du cul, que j’étais le clou de la soirée ; une sorte d’invité mystère que tout le monde attendait. Il était où le loup ? On se foutait de ma gueule… Seulement, j’étais incapable de répondre à ces questions. Je ne pouvais mettre en route ma mécanique intellectuelle. À cet instant, j’étais entièrement plongé dans le décolleté de cette blonde. Je frissonnais... La chair est faible : elle détruit les velléités de l’esprit... Aujourd’hui, encore, son évocation me permet de trouver des circonstances atténuantes à ma conduite.
Le domestique s’effaça remplacé par la jolie blonde qui me confia s’appeler Manon. Quel beau petit nom je pensais… Manon… Cette déesse, répondant à ce joli prénom, fendit la foule pour me faire pénétrer dans la villa. Je me rendis compte que je n’avais pas pris garde à l’extérieur de la propriété, car je regardais louvoyer le cul de ma beauté. Il réclamait à la seconde, devant mes yeux, la schlague. Ce cul était beau, comme un tableau de Vermeer, et je pensais à ces vers d’Apollinaire dans ‘’ Les Poèmes à Lou ‘’.
Je peux me prosterner
Comme vers un autel
Devant ta croupe
Qu’ensanglantera ma rage.
Je cherchais à détendre mon humeur badine, à coup sûr. ‘’ Devant ta croupe qu'ensanglantera ma rage… ‘’ Il savait y faire le Guillaume… En une phrase, Apollinaire résumait ce qui me traversait l’esprit. J’étais enchâssé à ce cul dansant devant moi. Je n’avais qu’à me prosterner vers le dieu des mots et des sens conjugués incarné par Apollinaire. Et convenir que j’aurais pu choisir plus mauvais poète, et plus vilain cul, pour m’occuper les pensées.