LES CHAMPS DU CRÉPUSCULE
BERTRAND REDONNET
D’ordinaire, le grand Gaétan mettait fin à la partie par trois coups de poings frappés sur la table : atout, atout et carreau maître ! Il se cabrait ensuite très en arrière sur sa chaise, les yeux tout pétillants d’alcool et de malice.
Farceur, il adressait aussitôt un clin d’œil de triomphe à son partenaire, l’air de dire t’as vu comme je les ai aplatis, et il toisait les deux comparses de l’équipe adverse, lesquels prenaient invariablement un air affligé en vérifiant sans conviction les cartes jetées sur le tapis avant de balancer les leurs en désordre, dans un geste qui, manifestement, se voulait de dépit.
Le protocole de la capitulation une fois respecté, le grand Gaétan bombait et se frottait le torse en de larges ronds concentriques. Les quatre ou cinq spectateurs assis derrière les joueurs secouaient alors la tête de côté et vers le bas, avec un sourire nigaud, toujours le même, et si délibéré qu’il leur tordait la bouche : ah, le renard, il est fort ! Il est quand même très fort, hein ? !