L'ÉVEIL DU MATIN
Près de vingt ans après sa carrière de soldat pendant la guerre franco-prussienne de 1870, Gustave Jacques se retrouve dans un certain isolement comme chasseur, mais reste l’homme à tout faire au domaine du baron Treil, dans la petite bourgade d’Autricourt. Alors qu’il est probablement temps de fonder une famille avec la jeune Charlotte, une rencontre fortuite en forêt avec une mystérieuse jeune fille et une rixe de village vont l’amener malgré lui vers une tragique spirale de rancœurs et de vengeances. Sûr de son enracinement régional, de ses idéaux bonapartistes et de sa vision des relations amoureuses, il ne peut cependant échapper tant à la violence de l’ancien monde qu’aux intrigues du nouveau siècle. Confronté à la méfiance et au conformisme ; sa vie semble ne pouvoir s’achever que dans la désolation et la ruine. Il y a-t-il encore un espoir pour lui ailleurs qu’en Bourgogne, vers de nouveaux horizons, comme au temps de sa jeunesse guerrière et vagabonde ?
EXTRAIT :
Je pensai qu’avant notre rencontre, je me trouvais dans une brume opaque et que j’avais vogué peu à peu vers le phare de lumière, accostant sur une terre de miel et de rubis. Elle était telle une couturière qui avec son aiguille, avait accroché mon âme à ce qui l’entourait. Voilà comment Charlotte était entrée dans ma vie.
— Si l’on veut te trouver, es-tu toujours dans le vallon dont tu m’avais parlé ? me demanda-t-elle.
— Non, dis-je. Ma hutte a brûlé.
— Comment cela ?
Je ne répondis rien.
— Je suis chez Jean. Enfin pour l’instant. Je vais construire un autre abri et nous allons faire un commerce.
— Grande nouvelle ! s’exclama-t-elle. Avez-vous déjà des clients ?
— Peut-être bien. Oui ! dis-je en mentant parfaitement.
— Tu vas gagner ton pain, faire des bénéfices.
— Rien ne va changer, un petit plus que d’habitude, répondis-je humblement.
— Tu as toujours su t’en sortir.
— Personne n’en a jamais douté, dis-je en riant.
— Oui, j’ai toujours cru que tu étais le plus grand dégourdi par ici.
J’aurais voulu lui dire que j’étais resté un enfant du pays, que j’étais de ceux qui avaient grossi dans des parcelles de boue et d’argile, et que de ce terreau n’était pas sorti la brutalité ou la niaiserie, la petitesse ou la bêtise, mais une humilité pure et modeste, une rusticité raisonnable et subtile ne brandissant pas l’instruction avec l’étendard du dédain, mais avec le pavillon de ceux qui ne souhaitent que s’embellir au lieu de s’engraisser.
— Je vais rentrer, dis-je. Pour du repos ou du travail, je ne sais pas encore !
— Oh ! La baronne doit m’attendre aussi !
Elle me croisa en cognant volontairement mon bras, se tourna, le toucha avec sa main et repartit pour rentrer dans le château. Elle sentait toujours l’oignon, mais aussi la vieille souillarde de cuisine.
Je pensai : « Comme elle s’est abîmée! ».