L'APPARTEMENT DE BERTRAND
DE PHILIPPE MIQUEL
François de Launay, peau de cadavre nacrée et yeux de fou, a invité Bertrand à un concert privé dans le Salon d’Hercule du château de Versailles parmi les aristocrates exhumés manifestant bruyamment la finesse héréditaire de leur mélomanie. Quintette pour piano et vents de Mozart. À quelques rangs devant lui, on dirait les cheveux de Prune. Et sur cette note détachée du piano, bijou enchâssé exactement au centre du larghetto, Prune, (c’est bien elle), se retourne d’un coup et fiche son regard noir dans celui de Bertrand. Quelque chose ne tourne pas rond. Un gardien interrompt le concert. Alerte à la bombe. Dans un petit vent de frayeur élégamment contrôlée, le public se disperse dans plusieurs directions. On n’y voit pas grand-chose. On ne sait plus très bien où est l’escalier Gabriel et la sortie. Certains vont vers le vestibule de la Chapelle, d’autres vers le salon de l’Abondance jusqu’au salon de Vénus où la plupart font demi-tour. Sauf Prune. Elle, elle attend Bertrand, le dos appuyé contre une des colonnes ioniques en marbre de Rance qui encadrent les portes du fond. Elle porte une robe brun foncé de soie imprimée sous un blouson de cuir noir très ajusté, et des boots mordorés à effet peau de serpent. À l’une de ses boutonnières, elle a accroché un oeillet blanc. Quand Bertrand est à sa portée, elle l’alpague fermement et le colle à elle. Au plafond, dans un rai de lumière de source invisible, Europe est enlevée par un taureau, Venus soumet Bacchus à Vulcain, et en bas, dans la pénombre des salons désertés, Bertrand investit le con de Prune qui le repousse soudain, se retourne, trousse son imprimé de soie sur sa divine lordose, projetant ainsi en arrière le globe parfait de son cul. Elle guide le vit de Bertrand vers le centre de ses fesses. Il hésite. Elle insiste. L’oeillet blanc tombe sur le parquet. Bertrand triomphe, Prune exulte. Bref ils s’éclatent.